Droits de l'Homme : Dossiers SOS JUSTICE

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09/01/2019

Droit à l’autodétermination, souveraineté, Traité de Lisbonne

Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, ou droit à l’autodétermination, est le principe issu du droit international selon lequel chaque peuple dispose d'un choix libre et souverain de déterminer la forme de son régime politique, indépendamment de toute influence étrangère. 

par Alfred de Zayas, Geneva School of Diplomacy*

«Le sens de la démocratie, c’est justement l’autodétermination libre d’un peuple sur son statut en tant qu’entité sociale indépendante, fédérative, associative, et cela signifie aussi le libre choix en matière de gouvernement et d’ordre social dont le peuple veut lui-même se doter.»

«Le droit d’avoir sa propre patrie n’est pas seulement le plus fondamental des droits humains collectifs, mais il conditionne l’accès à de nombreux droits humains individuels.» 
Prof. Otto Kimminich, Das Recht auf die Heimat, 1989, p. 201

«Il existe un droit à la patrie, et c’est un droit humain.» 


Prof. Robert Redslob, Académie de droit internationale, La Haye, 1931

Mesdames, Messieurs,


La démocratie signifie la souveraineté du peuple. Pour y parvenir, il faut qu’il y ait, entre autres choses, l’éducation, l’information globale, une véritable couverture médiatique, la liberté d’opinion.


La souveraineté populaire se fonde sur l’histoire, l’identité, la culture, la langue, le pays natal. Elle s’exprime sous la forme de consultations populaires, d’initiatives populaires, de référendums et d’élections.

La démocratie, c’est la libre détermination du peuple

Le sens de la démocratie, c’est justement l’autodétermination libre d’un peuple sur son statut en tant qu’entité sociale indépendante, fédérative, associative, et cela signifie aussi le libre choix en matière de gouvernement et d’ordre social dont le peuple veut lui-même se doter. 


La démocratie est dynamique et se doit d’être vécue et exercée chaque jour. Elle ne se produit pas d’un seul coup, comme un «Big Bang». L’autodétermination n’est pas non plus un fait d’exception, mais doit être mise en pratique de façon consciente et demeurer flexible afin que les hommes et les femmes puissent se représenter eux-mêmes leur avenir, afin qu’ils disposent véritablement de choix, afin que les politiciens œuvrent en toute transparence et puissent rendre des comptes. 


La libre autodétermination vaut évidemment pour la génération qui en exerce le droit, mais ne limite cependant pas le droit démocratique de futures générations à en modifier le modèle et à se déterminer autrement. Dans les faits, le droit à l’autodétermination est si essentiel dans ses dimensions individuelles et collectives – tout comme le droit à la vie – qu’on ne peut en faire abstraction, car il fait partie de l’ontologie de l’individu. 


L’avenir s’édifie sur l’origine, le pays natal, l’identité, la culture et la continuité. L’individu libre façonne son propre avenir dans le respect mutuel et dans la solidarité envers autrui. Ce n’est ni un lieu commun ni du «populisme», mais la dignité humaine. 


L’Europe a connu de nombreuses formes de totalitarisme, y compris le totalitarisme qui se présente comme «démocratique». La démocratie s’est ainsi retrouvée corrompue au travers de pseudo-faits, d’une pseudo-histoire, d’un pseudo-droit et d’une pseudo-diplomatie. C’est pourquoi, nous devons nous souvenir de l’essentiel et dire avec Emmanuel Kant: Sapere aude! [Aie le courage de savoir!]. Nous devons avoir le courage de mettre en pratique nos convictions, de démontrer ce courage quotidiennement, de nous engager pour un débat ouvert et pour la construction des institutions démocratiques, pour la liberté d’information et la liberté d’opinion, pour un débat ouvert sans à priori. Il ne s’agit pas seulement là de la question du droit et des lois, mais au contraire d’un problème d’éthique, d’une obligation, de valeurs comme la bienséance, l’honneur, l’esprit de justice, l’amour de la vérité et de l’authenticité. 


Nous devons à présent considérer le droit à l’autodétermination des peuples non seulement dans la perspective historique des 14 points de Woodrow Wilson, ses idées sur l’autonomie et la sécession. En principe le droit à l’autodétermination des peuples trouve déjà son origine dans le droit naturel, dans la pensée des philosophes grecs et romains, dans les traités du Cicéron et Sénèque, au XVIe siècle dans les écrits de Francisco de Vitoria, au XVIIe siècle dans ceux d’Hugo Grotius et de John Locke et au XVIIIe siècle, de Jean-Jacques Rousseau. 


Ce qui importe pour nous au XXIe siècle, c’est la conviction que la souveraineté populaire et l’autodétermination sont inséparables de l’éthique. Nous devons intérioriser les droits de l’homme que nous avons inscrits dans les pactes des Nations-Unies, dans la Convention européenne des droits de l’homme et dans plusieurs autres traités et résolutions, afin que nous puissions les exiger des gouvernements et des institutions, afin que la Commission européenne et le Parlement européen promeuvent réellement les droits humains – y compris le droit à l’autodétermination des peuples et le droit du sol – et ne les reconnaissent pas seulement du bout des lèvres.

Démophobie – la mentalité antidémocratique de Bruxelles

Selon le Traité de Maastricht (février 1992) de l’Union européenne, l’UE professe les principes de liberté, de démocratie, des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que l’Etat de droit. De plus, l’Union européenne, selon l’article 2 du Traité de Lisbonne de 2009, doit encourager activement ces valeurs. Bien au contraire, nous observons une menace grandissante au travers d’une mentalité antidémocratique qui se répand à Bruxelles, par sa démophobie – la peur du peuple et des consultations populaires – par l’hybris bien connu des bureaucrates qui ne sont en aucune façon démocrates. Cette mentalité totalitaire remet en question la souveraineté des Etats-membres.

Les traités de Versailles et de Saint-Germain-en-Laye

Revenons un instant sur l’armistice du 11 novembre 1918, sur les pourparlers à Paris en 1919, sur le Traité de Versailles, le Traité de Saint-Germain-en-Laye et celui du Trianon, et sur le mépris du droit à l’autodétermination au travers du diktat des Etats victorieux. 


Le droit à l’autodétermination des 3,5 millions d’austro-allemands de Bohème, de Moravie, de Silésie et de Slovaquie, leur droit de vivre à l’intérieur des frontières allemandes ou autrichiennes leur a été refusé et ils sont ainsi devenus de force citoyens de la Tchécoslovaquie, sans possibilité d’un plébiscite. Il en a été de même avec les 200 000 Autrichiens du Tyrol du Sud, contraints de vivre sous domination italienne, et ce malgré le point 9 des 14 points Wilson, qui prévoyait:

«A readjustment of the frontiers of Italy should be effected along clearly recognizable lines of nationality.» (Joint session of Congress on January 8, 1918) [Un réajustement des frontières italiennes devrait être effectué selon des limites clairement déterminées de nationalité.]

Comme on le sait la démarcation des frontières avec la Pologne avait laissé, à l’intérieur des frontières du tout nouvel Etat polonais deux millions d’Allemands, également considérés comme une minorité en principe indésirable et discriminée. Certes, il y avait un traité de protection des minorités de la Société des Nations (SDN) qui engageait l’Allemagne, l’Autriche, la Pologne, la Tchécoslovaquie et l’Italie. Mais on trouve encore dans les archives de la Société des Nations à Genève des milliers de pétitions prouvant que la protection des minorités ne fonctionnait pas vraiment. Ma conviction, en tant qu’historien et expert en droit international, est qu’à Versailles et Saint-Germain-en-Laye la discrimination systematique des minorités n’a certes pas été l’unique raison du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, mais il y a sûrement considérablement contribué – en même temps que les facteurs géopolitiques et économiques. Permettez-moi maintenant de l’expliquer:


Il est connu que le droit à l’autodétermination des peuples inclut non seulement les droits à l’autonomie et à la sécession, mais encore le droit à se fédérer, si les peuples le désirent. L’article 80 du Traité de Versailles indiquait:

«L’Allemagne reconnaît et respectera strictement l’indépendance de l’Autriche […].»

L’article 88 du Traité de Saint-Germain-en-Laye indiquait:

«L’indépendance de l’Autriche est inaliénable […]. En conséquence, l’Autriche s’engage à s’abstenir […] de tout acte de nature à compromettre son indépendance, directement ou indirectement […].»

N’aurait-il pas été plus en accord avec les 14 points Wilson de donner aux Allemands et aux Autrichiens l’occasion d’organiser des référendums, et dans le cas d’une majorité populaire en sa faveur, de fêter la fédération des deux peuples? Les puissances victorieuses ne le désiraient justement pas, car il s’agissait d’affaiblir l’Allemagne et l’Autriche et de les exclure en tant que concurrents économiques.

«En réalité, beaucoup trop de guerres ont éclaté suite à des violations du droit à l’autodétermination des peuples. C’est pourquoi on doit considérer la réalisation du droit à l’autodétermination comme un facteur de promotion ou de maintien de la paix. Elle agit comme une stratégie préventive afin d’éviter les conflits armés.»

Le droit à l’autodétermination ignoré par les vainqueurs

La veille de la signature du Traité de Saint-Germain-en-Laye, l’Assemblée nationale autrichienne a publié le communiqué suivant: «L’Assemblée nationale […] élève une protestation publique et solennelle contre ce que le Traité de paix de Saint-Germain-en-Laye, sous prétexte de protéger l’indépendance de l’Autriche germanique, dénie au peuple austro-allemand son droit à l’autodétermination […]. L’Assemblée nationale exprime l’espoir que, dès que la paix aura surmonté l’esprit d’hostilité nationale et de discrimination provoqué par la guerre, la Société des Nations ne refusera pas plus avant au peuple allemand le droit à l’unité et la liberté de la nation qu’il accorde à tous les autres peuples.»


Dix ans plus tard, lors de la crise économique mondiale, les gouvernements allemands et autrichiens décidèrent une union douanière, certes une chose légitime et une expression du droit à l’autodétermination des Allemands et des Autrichiens. Même Winston Churchill le pensait, saluant ce projet comme une possibilité pour le gouvernement démocratique de Weimar d’Heinrich Brüning d’améliorer sa base sur le plan de la politique intérieure. En revanche, le Foreign Office exprima des doutes à ce sujet, parce qu’il semblait que cela aggraverait les tensions en Europe, et la France et la Tchécoslovaquie se montrèrent totalement intransigeantes. Cependant l’Angleterre ne mit pas en doute la légitimité politico-juridique de l’union douanière.
C’est sur la base des articles précités des Traités de Versailles et de Saint-Germain-en-Laye que le ministre français Pierre Laval mena l’Union douanière austro-allemande à l’échec, ce qui affaiblit considérablement le gouvernement démocratique d’Heinrich Brüning et le conduisit finalement à sa chute en mai 1932. A peine huit mois plus tard, Adolf Hitler prit le pouvoir. 


Les clauses léonines des Traités de Versailles et de Saint-Germain-en-Laye ont également conduit aux tensions aboutissant à la Seconde Guerre mondiale. Par exemple, la question des Sudètes. La commission d’experts américains réunie à Paris sous la direction d’Archibald Cary Coolidge, professeur à Harvard, attira l’attention, dans un rapport du 10 mars 1919 lors des négociations de paix, sur ce que les Allemands pouvaient devenir «inassimilables» et mettait en garde contre le fait de les assujettir à la domination étrangère:


«Si l’on accordait aux Tchécoslovaques tous les territoires qu’ils réclament, ce serait non seulement une injustice à l’égard de millions de gens qui ne veulent pas être soumis à la domination tchèque, mais ce serait également dangereux et peut-être même fatal pour l’avenir de ce nouvel Etat […].» C’est pourquoi Coolidge proposa d’attribuer une partie de cette région à l’Allemagne et une partie à l’Autriche. 


Lors de manifestations pacifiques pour le droit à l’autodétermination organisées un peu partout en Tchécoslovaquie par les Allemands de Bohême et de Moravie, il y eut 54 morts. Le professeur Coolidge écrivit alors:

«Le sang ayant coulé le 4 mars, lorsque dans plusieurs villes les soldats tchèques ont tiré sur la minorité allemande, a été versé d’une façon qui ne pourra que difficilement être pardonnée […].»

Théorie et pratique du droit à l’autodétermination

Permettez-moi à présent d’en venir à la théorie et à la pratique du droit à l’autodétermination. C’était là le sujet de mon rapport d’octobre 2014 à l’Assemblée générale des Nations-Unies, dans lequel j’ai formulé des critères clairs pour son exercice (UN Doc. A/69/272).


Comme nous le savons, le droit international est dynamique. Nous observons le développement progressif du droit à l’autodétermination, c’est-à-dire des idéaux premiers de Woodrow Wilson jusqu’à la Déclaration d’indépendance estonienne de 1918, des recommandations de la Société des Nations, des accords de protection des minorités, de l’article 3 de la Charte de l’Atlantique de 1941, de l’article 1(2) de la Charte des Nations Unies, des chapitres XI et XII de la Charte, de la Résolution 1514 de l’Assemblée générale sur la décolonisation (1960), du processus de décolonisation en Afrique et en Asie, de la guerre perdue de l’autodétermination des Igbos pour l’indépendance de Biafra 1967–1970, des Résolutions 2625 (1970) et 3314 (1974) de l’Assemblée générale, de la Déclaration d’indépendance du Bangladesh de 1971 et de la guerre indo-pakistanaise, de l’avis consultatif de la Cour internationale de justice sur le Sahara occidental de 1975, de la mise en œuvre du Pacte international sur les droits civils et politiques ainsi que du Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels en 1976 (dont l’article commun no 1 codifiant le droit à l’autodétermination des peuples), de la Déclaration de Vienne de 1993, du référendum d’autodétermination du Québec de 1995, du référendum d’indépendance et de la sécession du Haut-Karabagh de 1988 et des guerres de 1992 à 1994 contre l’Azerbaïdjan (y compris la médiation de l’OSCE), de la dissolution de l’Union soviétique en 15 républiques, des guerres de 1991–1992 et des déclarations unilatérales d’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, des déclarations unilatérales d’indépendance des régions séparatistes de la Yougoslavie et des guerres qui s’en sont suivies, de la séparation à l’amiable des Républiques slovaques et tchèques en 1993, du référendum érythréen de 1993, du bombardement de la Serbie par l’OTAN de 1999 et du démantèlement de son intégrité territoriale, du référendum d’indépendance du Timor oriental de 1999, de la guerre d’indépendance perdue par les Tamouls du Sri Lanka dans les années 1983–2009, de la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo de 2008 et l’avis de la Cour de justice internationale de 2010, du référendum au Sud-Soudan de 2011, du référendum sur la Crimée de 2014 et de sa réintégration en Russie, de la séparation de facto des régions autour de Donetsk et Lougansk en Ukraine en 2014, du référendum écossais de 2014, du référendum au Kurdistan de 2017, du vote en Catalogne en 2017 et en Nouvelle-Calédonie en 2018 etc. 


Il y a naturellement diverses possibilités d’exercer le droit à l’autodétermination. L’autodétermination interne peut être exercée sous forme d’autonomie ou de fédéralisme. L’autodétermination extérieure s’exerce par la sécession ou par l’union avec un autre Etat.
En 2010, selon l’expertise juridique de la Cour de justice internationale au sujet du Kosovo, une déclaration unilatérale d’indépendance ne va pas contre le droit international.


L’un des points qui est sans doute parmi les plus importants dans l’Advisory Opinion de la Cour de justice internationale s’articule autour du principe de l’«intégrité territoriale», qui ne met justement aucun obstacle au droit à l’autodétermination ou à la sécession, car partout où le principe de l’intégrité territoriale est fixé en droit international – que ce soit dans l’article 2(4) de la Charte des Nations Unies, dans la Résolution 2625 de l’Assemblée générale, dans l’Accord d’Helsinki de 1975 etc. –, il traite de la protection de l’intégrité territoriale d’un Etat face au recours à la force extérieure ou de l’interdiction d’envahir ou d’occuper le territoire d’un autre Etat.


En aucun cas, il n’est possible d’utiliser ce principe à l’intérieur d’un pays contre son propre peuple. En aucun cas le principe de l’intégrité territoriale ne peut contrer la plus haute valeur, c’est-à-dire le droit à l’autodétermination des peuples. Comme l’a énoncé la Cour internationale de justice: «The scope of the principle of territorial integrity is confined to the sphere of relations between States.» (Paragraphe 80) [Le domaine d’application du principe d’intégrité territoriale se limite aux relations entre Etats]. 


La sécession du Kosovo d’avec la Serbie a certes créé en droit international un précédent important ne pouvant être ignoré, car le droit international est par définition universel et ne peut donc être appliqué de façon sélective. Le Kosovo est aujourd’hui un Etat de-facto, même en n’étant pas encore membre des Nations-Unies. 


Alors que la reconnaissance internationale des Etats n’est que déclarative et qu’elle n’est en rien une caractéristique déterminante sur le plan étatique, il est dans l’intérêt de la communauté internationale d’intégrer le plus rapidement possible au sein des Nations Unies les Etats de-facto afin de leur offrir ainsi la possibilité de ratifier les accords des Nations Unies, notamment les traités relatifs aux droits de l’homme. Tôt ou tard le Kosovo deviendra membre des Nations Unies – mais seulement si les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité le veulent, probablement en quid pro quo [donnant-donnant]. Ainsi l’Abkhazie, l’Ossétie, Nagorny Karabakh pourraient devenir membres des Nations Unies ou pourraient se fédérer avec d’autres Etats existants, comme, par exemple, la Crimée a été fédérée à la Russie.

Autodétermination – droit international impératif

Le droit à l’autodétermination est hiérarchiquement considéré comme un droit international impératif (jus cogens). Mais la mise en œuvre de ce droit n’est pas toujours facile. Comme on le dit en anglais: ce n’est pas self-executing.


Le droit à l’autodétermination a souvent été nié, et continue à l’être, en toute impunité, tout comme l’interdiction (jus cogens) de l’utilisation de la violence – selon l’article 2(4) de la Charte des Nations Unies –, dont les violations sont également demeurées bien trop souvent impunies, comme dans le cas du bombardement illégal de l’ex-Yougoslavie en 1999 ou de l’invasion et du bombardement de l’Irak en 2003, que le secrétaire général des Nations-Unies Kofi Annan a clairement condamné comme une «guerre illégale». La violation du droit à l’autodétermination ou celle de l’interdiction du recours à la force ne perturbe pas la validité des normes du droit international. Cela met seulement en évidence une fois de plus le manque de mécanismes contraignants dans le système de Nations-Unies, ainsi que le fait que des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité restent souvent impunis.

«En ce qui concerne l’Union européenne, l’idée originelle d’une coopération économique entre les Etats européens, l’abolition des droits de douane, etc. sont bien entendu très positifs pour le commerce et peuvent contribuer au bien public. Mais cette coopération ne doit pas se faire aux dépens des Etats les plus pauvres, pas plus qu’au détriment des droits sociaux, de la culture et de l’identité des peuples d’Europe.»

Le droit à l’autodétermination est aussi valable après la décolonisation

Avec la décolonisation, le droit à l’autodétermination des peuples n’a pas été acté. Aujourd’hui, ce droit est plus vivant et plus nécessaire que jamais.
Permettez-moi à présent de revenir brièvement sur le Pacte des Nations-Unies relatif aux droits civils et politiques. Dans l’article I, alinéa 1 on lit:

«Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel.»

Cela signifie que les entités juridiques sont justement les peuples – c’est-à-dire tous les peuples, et pas seulement les anciens peuples coloniaux. L’interprétation de l’article d’après la Convention de Vienne sur le droit des traités ne permet aucune autre interprétation.
L’alinéa 3 indique:

«Les Etats parties au présent Pacte, […] sont tenus de faciliter la réalisation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et de respecter ce droit, conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies.»

Cela signifie que tous les Etats membres doivent adopter les mesures positives relatives à la mise en place du droit à l’autodétermination. Il ne s’agit pas seulement de n’y mettre aucun obstacle, mais encore de promouvoir sa réalisation.
Même quand le droit n’est pas seulement considéré comme «hard law», mais aussi comme jus cogens, nous observons très souvent à quel point le droit à l’autodétermination est appliqué de façon arbitraire et sélective – un genre de droit international «à la carte». Ainsi les Slovènes, les Croates, les Kosovars ont obtenu leur indépendance de la Yougoslavie. Mais les Serbes de Krajina, de la Republika Srpska, de Mitrovica-Nord, de Leposavic, de Zvecan et de Zubin Potok n’ont pas obtenu leur union avec la Serbie. 


D’année en année, le secrétaire général des Nations Unies présente lors de l’Assemblée générale un rapport sur l’application du droit à l’autodétermination. Depuis plusieurs années, il n’y a pas grand-chose à rapporter. 


Cette thématique et toutefois toujours d’actualité et de nombreuses organisations non-gouvernementales telles les Unrepresented Nations and Peoples Organization (UNPO) [Organisation des nations et des peuples non représentés] présentent à ce sujet des rapports solides enrichissant les débats à l’ONU.

«L’ontologie de l’Etat est cependant de se préoccuper du bien public, de créer des lois sur la protection des citoyens, sur la protection de l’environnement et de mettre en œuvre des sanctions, si des investisseurs ou des multinationales vont à l’encontre de ces prescriptions.»

Au sujet de la souveraineté

Comme nous savons, le peuple est souverain au sein de l’Etat. La démocratie signifie la souveraineté de peuple. Les chefs d’Etat et les Parlements ne peuvent se reconnaître démocrates que s’ils représentent réellement le peuple ou en sont les représentants.


C’est pourquoi le modèle de la démocratie semi-directe en Suisse est peut-être le meilleur. Depuis 2017, je suis moi-même citoyen suisse – et je tiens en grande estime notre modèle démocratique qui encourage la participation fréquente du peuple. J’ai moi-même déjà participé à 5 élections ou votations populaires rien qu’en 2018, et je trouve cela bien, car le sentiment de l’appartenance et de sécurité dépend justement en partie de la conscience qu’on a d’être pris au sérieux et que les hommes politiques sont à notre service et non le contraire. 


Il existe cependant des obstacles compliquant l’exercice de la souveraineté populaire. Certains traités internationaux perturbent l’exercice de la souveraineté. Les dits «accords de libre-échange» représentent un sérieux danger pour la souveraineté des Etats contractuels. Dans mes rapports au Conseil de droits de l’homme et à l’Assemblée générale j’ai mis en garde que certaines parties de ces accords sont contra bonos mores, contre les bonnes mœurs, car elles corrompent les fonctions essentielles des Etats, comme l’a aussi plusieurs fois établi l’United Nations Conference on Trade and Development (UNCTAD). Notamment les dits mécanismes d’Investor-State-Dispute-Settlement (ISDS) bouleversent totalement l’Etat de droit. Depuis 200 ans, les Européens se fondent sur le modèle de la primauté de l’Etat de droit et des tribunaux de droit public qui, justement, doivent non seulement être compétents, mais encore transparents, et doivent pouvoir rendre des comptes. Cela peut être sapé par la création d’un système parallèle, où trois arbitres peuvent ignorer les lois nationales et la jurisprudence même des plus hautes instances juridiques. En outre, il ne peut être fait appel des décisions de l’arbitrage. L’ontologie de l’Etat est cependant de se préoccuper du bien public, de créer des lois sur la protection des citoyens, sur la protection de l’environnement et de mettre en œuvre des sanctions, si des investisseurs ou des multinationales vont à l’encontre de ces prescriptions. A présent, des investisseurs exigent réparation lorsqu’ils ne tirent pas suffisamment de profits de leurs investissements. Mais l’ontologie du capitalisme est justement la prise de risque dans la recherche du profit. Le risque doit rester du côté de l’investisseur et ne peut être rejeté sur l’Etat. L’ISDS ne peut pas être réformé, il doit être aboli. Des accords tels que le CETA, le TTIP et le TiSA perturbent la souveraineté des Etats et mettent en péril l’obligation des Etats de garantir les droits de l’homme – notamment les droits économiques, sociaux et culturels.


En ce qui concerne l’Union européenne, l’idée originelle d’une coopération économique entre les Etats européens, l’abolition des droits de douane, etc. sont bien entendu très positifs pour le commerce et peuvent contribuer au bien public. Mais cette coopération ne doit pas se faire aux dépens des Etats les plus pauvres, pas plus qu’au détriment des droits sociaux, de la culture et de l’identité des peuples d’Europe.


J’observe avec inquiétude la façon dont la Commission européenne se mêle de plus en plus des affaires intérieures des Etats-membres, à l’encontre des exigences populaires concernant le pays natal et l’identité. Ainsi l’opposition grandit non seulement en Angleterre, mais également en Pologne, en Hongrie, en République tchèque, en Slovaquie etc.

Quelques remarques au sujet du Traité de Lisbonne

Depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne en décembre 2009, les Etats-membres de l’Union européenne sont soumis au droit international.

L’article 2 du Traité stipule:

«L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’Etat de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux Etats membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes.»

Un Etat-membre de l’UE qui violerait les droits de l’homme ou les principes de l’Etat de droit devrait en subir les conséquences selon l’article 7 du Traité de Lisbonne.

Dans l’alinéa 1 et 3 l’article 7 dit:

«Sur proposition motivée d’un tiers des Etats membres, du Parlement européen ou de la Commission, le Conseil, statuant à la majorité des quatre cinquièmes de ses membres après approbation du Parlement européen, peut constater qu’il existe un risque clair de violation grave par un Etat membre des valeurs visées à l’article 2. […].»

 

Plus loin, dans le paragraphe 3, il est dit:

«Lorsque la constatation visée au paragraphe 2 a été faite, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut décider de suspendre certains des droits découlant de l’application des traités à l’Etat membre en question, y compris les droits de vote du représentant du gouvernement de cet Etat membre au sein du Conseil. […]»

Comme cela a été démontré au début, le droit international est trop souvent utilisé à discrétion – ainsi par la Commission européenne, qui engage l’article 7 à l’encontre de la Hongrie et de la Pologne, mais pas contre l’Espagne, où l’Etat de droit a été sérieusement mis à mal, où le droit à l’autodétermination des Catalans est réprimé par la violence économique et physique, où les droits à la liberté d’opinion et à l’indépendance de la justice ont été systématiquement brimés, où des hommes politiques sont arrêtés, uniquement à cause de leur soutien au droit à l’autodétermination – utilisé exclusivement de façon démocratique et pacifique. Cela implique sûrement des violations des droits de l’homme plus sérieuses qu’en Hongrie et Pologne. Mais l’Espagne a été épargnée, et Bruxelles garde le silence pendant que les prisonniers politiques croupissent depuis plus d’un an en prison et sont poursuivis au titre de ce que nous pourrions désigner comme «lawfare».


Pensons à la façon dont l’Europe aurait réagi, si l’Angleterre avait traité les indépendantistes écossais comme des criminels. Il y a de bonnes raisons de penser qu’actuellement en Espagne on a enfreint les articles 3, 5, 6, 8, 9, 10, 11, 13, 14 de la Convention européenne de droits de l’homme ainsi que les articles 1, 7, 9, 10, 12, 14, 19, 21, 22, 25, 26 et 27 du Pacte international sur les droits civils et politiques, mais Bruxelles n’a entrepris aucune enquête ou mis en œuvre l’article 7.


Bien sûr, la Commission européenne se devrait d’enquêter politiquement sur de telles ambigüités, et elles devraient également faire l’objet de poursuites juridiques par la Cour de justice européenne pour les droits de l’homme de Strasbourg et par la Cour de justice de l’Union européenne de Luxembourg. L’impunité ne devrait plus être acceptée dans l’indifférence en Europe.


La jurisprudence du tribunal de Luxembourg est intéressante, car par son arrêté du 27 février 2018 dans le dossier C-2767/16, il a confirmé que le droit à l’autodétermination des peuples fait partie du droit européen. Les accords économiques de l’Union européenne avec le Maroc ne peuvent donc plus s’appliquer au Sahara occidental occupé, car ils violeraient le droit à l’autodétermination de la population locale, c’est-à-dire les Sahraouis.


Le droit à l’autodétermination des peuples fait très certainement partie des droits de l’homme que l’Union européenne doit promouvoir activement. Au sens de l’article 1 du Pacte des Nations Unies sur les droits civils et politiques, on devrait prendre des mesures pour mieux assurer la protection des droits de l’homme – et pas seulement des droits des minorités – de nombreux peuples en Europe – entre autres des Basques, des Catalans, des Bretons, des Corses, des habitants du Tyrol du Sud (Haut-Adige), des Allemands vivant dans les Etats d’Europe de l’Est.


Outre l’application arbitraire du Traité de Lisbonne, d’autres inquiétudes à l’encontre de ce traité ont été formulées, par exemple à l’encontre de la façon dont il a été conclu. Il y a eu tout d’abord l’approbation d’une dite constitution européenne, proposée en 2004 et refusée en 2005 lors de référendums en France et aux Pays-Bas. Puis, on a préféré revenir à la méthode non démocratique d’imposer le Traité de Lisbonne – presque identique à la version constitutionnelle précédente – par les Parlements des Etats membres. 


Plusieurs de ces Parlements n’ont cependant pas défendu la volonté de leurs peuples, mais ont voté contre leur volonté. Cela met au jour une problématique essentielle déjà présente lors de la genèse du traité – une incompatibilité avec la démocratie et l’Etat de droit. Cela nous rappelle également le Traité de Maastricht, ratifié de façon identique par les Parlements sans référendum préalable. Cela a été contesté à l’époque à juste titre devant la Cour constitutionnelle allemande, car le traité équivalait à une perte partielle de la souveraineté de l’Etat. A mon avis, la Cour constitutionnelle fédérale a rendu une décision purement politique et totalement erronée du point de vue juridique.


Il existe de nos jours bien d’autres menaces envers la démocratie: ce sont le conformisme, le «politiquement correct», l’autocensure et la résignation. Nous devons également lutter contre la manipulation de l’opinion publique, qu’elle soit mise en pratique par le gouvernement ou par les médias privés, car la démocratie et l’autodétermination ne fonctionnent que si nous pouvons accéder à des informations fiables et exhaustives dans un contexte correct sans être continuellement trompés par des politiciens et des médias.


En conclusion, je voudrais faire appel à l’ordre public européen, car les trois principes fondamentaux de l’Union européenne restent valables. Bien que les institutions appliquent arbitrairement ces principes fondamentaux, bien que de nombreux problèmes persistent avec l’Union européenne, c’est à nous qu’il incombe de trouver des solutions, des solutions devant mener à un meilleur avenir pour tous les Européens, des solutions surmontant les tragédies de la Première et de la Seconde Guerre mondiale et garantissant la démocratie et l’autodétermination pour nous tous. La démocratie est une expression de l’autodétermination et l’autodétermination ne peut être séparée de la démocratie. Toutes deux sont notre héritage et notre éthique. 

Je vous remercie de votre attention.    

*    Le Pr Alfred de Zayas a été de 2012 à 2018 Rapporteur spécial des Nations Unies pour la promotion d’un ordre international démocratique équitable. Il a présenté le texte reproduit ici lors du congrès de la fondation Desiderius Erasmus à Berlin le 10 novembre 2018. Le thème du congrès était: «Un siècle après la première guerre mondiale: l’ordre européen pour la paix depuis 1918 et le droit à l’autodétermination des peuples».

(Traduction Horizons et débats

 

Voir aussi :

INTRODUCTION AUX DROITS HUMAINS

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Les droits humains sont les droits inaliénables que possède chaque individu. Leur but est de protéger la dignité humaine contre l'arbitraire des Etats. Les droits humains sont indivisibles, inviolables et applicables à tous, indépendamment de toute appartenance étatique.

 

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