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15/04/2010

Enquête Big bang chez les Sages

TOUT Justiciable pourra désormais saisir le Conseil constitutionnel !

LEMONDE | 22.02.10 | 13h21  •  Mis à jour le 22.02.10 | 20h49

L
e petit monde des constitutionnalistes est en émoi. A compter du 1er
mars, tout justiciable pourra désormais saisir le Conseil constitutionnel, cette institution restée largement méconnue du grand public, plus d'un demi-siècle après sa création.

Cultivant le secret de ses délibérations, il n'accède à la "une" des journaux que lorsqu'il décide de censurer tout ou partie d'une loi emblématique, comme ce fut le cas récemment avec la taxe carbone, ou quand il s'agit de renouveler ses membres. L'apparition est généralement fugitive : la majorité pousse des cris d'orfraie, le gouvernement revoit sa copie, puis le Conseil retombe dans l'oubli.

La donne pourrait donc changer dès l'entrée en vigueur de la question prioritaire de constitutionnalité ("qpc"). Car derrière cette appellation absconse se cache un possible bouleversement institutionnel. "Evolution ou révolution ? Personne ne peut le dire", souligne prudemment le président du Conseil, Jean-Louis Debré. Ce qui est sûr, c'est que les enjeux ne sont pas minces : ils concernent les droits des citoyens, l'organisation juridictionnelle du pays et le fonctionnement du Conseil constitutionnel.

Jusqu'à présent, ce dernier ne pouvait être saisi que par des autorités politiques : le président de la République, le premier ministre, le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat et - depuis 1974 - soixante députés ou soixante sénateurs. Le Conseil n'exerçait, en outre, qu'un contrôle "a priori" : toute loi promulguée lui échappait définitivement ; impossible de vérifier sa conformité à la Constitution.

Ce sont ces deux verrous que va faire sauter la réforme. Tout justiciable pourra contester devant son juge la constitutionnalité de la loi applicable au litige dont il est partie. Toutes les juridictions - à l'exception des cours d'assises - pourront être saisies de cette question, et à tout moment : en première instance, en appel ou en cassation.

Le juge qui sera saisi d'une "qpc" vérifiera que la disposition législative critiquée est bien applicable au litige qu'il doit trancher, qu'elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, et que la question "n'est pas dépourvue de caractère sérieux". Si ces trois conditions sont remplies, il surseoira à statuer et transmettra la "qpc" au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Ces deux cours suprêmes auront trois mois pour procéder à un examen plus approfondi de la question de constitutionnalité, et décider de saisir ou non le Conseil constitutionnel. Ce dernier aura également trois mois pour statuer. S'il juge la loi conforme à la Constitution, le procès reprendra devant la juridiction de base ; dans le cas contraire, la loi sera abrogée et tous les procès qui avaient été entamés sur cette base légale prendront fin.

Projetons-nous à l'automne, dans l'hypothèse d'une pleine et entière application de la réforme. Un peu de justice-fiction : imaginons qu'au terme d'un débat public et contradictoire le Conseil constitutionnel décide d'abroger les dispositions du code de procédure pénale régissant les modalités de la garde à vue, donnant droit à ceux qui réclament qu'un avocat puisse être présent dès la première heure, avoir communication du dossier et assister aux interrogatoires. Imaginons également que dix jours plus tard, le Conseil statue sur la constitutionnalité de la "loi Gayssot" du 13 janvier 1990, qui qualifie de délit la contestation de l'existence des crimes contre l'humanité. Le principe de la liberté d'expression donnera-t-il raison à tous ceux - révisionnistes et militants d'extrême droite compris - qui plaident de longue date pour son abrogation ?

Ces deux exemples sont désormais du domaine du possible. Et même du probable. La garde à vue ? "Ce sera le combat du barreau de Paris", assure son bâtonnier, Jean Castelain. Ce dernier prévient que les avocats du barreau de Paris se sont "mis en ordre de bataille" pour engager à cette fin, dès le début du mois de mars, la nouvelle procédure de la question prioritaire de constitutionnalité. Quant à la loi Gayssot, elle fait partie de ces dispositions législatives qui, en raison d'un consensus politique au moment de leur adoption, ont échappé à tout contrôle de constitutionnalité.

Il aura fallu vingt ans pour que cette réforme aboutisse. Robert Badinter en avait fait la proposition en mars 1989, lorsqu'il était président du Conseil constitutionnel ; puis le comité Vedel, en 1993. Deux tentatives rejetées par les parlementaires, avant que le comité Balladur, quinze ans plus tard, le reprenne à son compte et transforme enfin l'essai.

Pour Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à l'université Montpellier-I, il s'agit ni plus ni moins d'un "big bang juridictionnel", d'une "bombe à retardement". "L'équivalent, assure-t-il, de la réforme de 1962" qui avait instauré l'élection du président de la République au suffrage universel.

Ce grand chambardement annoncé est d'abord et avant tout "une avancée formidable des libertés pour les citoyens", comme le souligne Me"droits et libertés que la Constitution garantit". Leurs avocats pourront tirer argument des principes énoncés dans la Loi fondamentale, ainsi que dans les textes - dont la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen - auxquels renvoie son préambule : principes de nécessité, de proportionnalité et d'adéquation des peines, dignité de la personne humaine, principe de précaution, etc. Castelain. Les justiciables pourront désormais se prévaloir des

Quant au champ des dispositions législatives potentiellement contestables, il est immense. Il inclut toutes les lois encore en vigueur qui ont été promulguées avant la création du Conseil, en 1958 ; ainsi que toutes les lois postérieures qui ne lui ont pas été soumises : dans un entretien accordé au Monde, la sociologue Dominique Schnapper, membre - sortante - du Conseil, indique que, "selon certains calculs", ce dernier n'aurait contrôlé que "7 % seulement des lois promulguées depuis 1958".

Jean-Baptiste de Montvalon

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Le Monde

 

02:00 Publié dans Justice | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook