Garde à vue : Dossiers SOS JUSTICE

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07/04/2011

La CEDH (Cour Européenne des droits de l'homme) et le statut du Parquet Français

Toujours sur le statut du Procureur de la République et sur la légalité des gardes à vue.

L’arrêt Medvedyev du 18 juillet 2008 ; ou comment les marins du cargo Cambogien Winner risquent de couler le parquet Français.

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On aurait pu en rêver et ils l’ont fait !  Enfin………. presque.

Ce ne sont pas les marins ukrainiens, roumains, grecs et chiliens du cargo Cambodgien Winner, mais les juges de la cour Européenne des droits de l’homme qui ont lancé un pavé dans la marre du système judiciaire Français.

Dans sa décision déjà célèbre du 18 juillet 2008 (Affaire Medvedyev contre France) la cour Européenne a considéré que ;

«  ... le procureur de la république n’est pas une autorité judiciaire au sens que la jurisprudence de la cour donne à cette notion : comme le souligne les requérants, il lui manque en particulier l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié ».

Cette conception de l’autorité judiciaire affirmée par la Cour Européenne des droits de l'homme (CEDH) s’oppose diamétralement à la conception française historique. Elle pourrait avoir de sérieuses conséquences sur le système judiciaire Français actuel, ainsi que sur les projets de réforme de la procédure pénale,  notamment celle annoncée du juge d’instruction.

Rappel des faits ; Dans le cadre d’une coopération intergouvernementale contre le trafic de stupéfiants, le Winner battant pavillon cambodgien est intercepté et contrôlé au large du cap vert par la marine française qui trouve une importante quantité de cocaïne à son bord.  Après consignation des marins dans les cabines du winner le navire est amené au port de Brest au cours d’un voyage de 13 jours et à l’arrivée duquel les marins sont placés en garde à vue.

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Une partie de ces marins avaient introduit une requête devant la Cour pour violation de l’article 5 de la convention Européenne des droits de l’homme portant sur le droit à la liberté et à la sureté en ses paragraphes 1;

 « interdiction des privations de libertés hors des cas prévus par ce paragraphe et selon les voies légales »

et paragraphe 3;

 « toute personne arrêtée ou détenue […] doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ».

C’est précisément en examinant la conformité de la procédure mise en œuvre par la France avec les dispositions de ce paragraphe 3 de la convention, quant à la nécessité de placer les conditions de la privation de liberté sous le contrôle de l’autorité judiciaire, que la CEDH à jugé que le procureur de la république française n’était pas une autorité judiciaire en raison de sa dépendance à l’égard du pouvoir exécutif.

 A la suite de diverses affaires politico judiciaires intervenues ces vingt dernières années, la pression médiatique était apparue de plus en plus forte pour remettre en cause le lien hiérarchique entre les magistrats du parquet et le pouvoir politique.

A travers ce débat la question qui se pose est celle du statut du magistrat exerçant l’autorité judiciaire et plus particulièrement ;

L’exercice de l’autorité judiciaire est elle compatible avec une subordination à l’égard du pouvoir politique ?

La réponse française est positive, et n’a jamais été remise en cause par les pouvoirs politiques et judiciaires français, mais elle est aujourd’hui sévèrement bousculée par la jurisprudence de la CEDH.

En France, l’autorité judiciaire comprend à la fois le magistrat du siège et ceux du parquet, malgré la dépendance de ses derniers à l’égard du pouvoir exécutif, et même si certains parquetiers eux-mêmes ont parfois dénoncé la contradiction qui peut exister entre une vision centralisée à partir des ministères et la réalité de terrain.

La question fait débat et génère des projets de réforme du statut des magistrats du parquet qui proposent de leur garantir une plus grande liberté d’action, mais sans toutefois remettre en cause ce fameux lien hiérarchique historique avec le pouvoir politique.

La loi du 9 mars 2004 est d'ailleurs venue consacrer ce modèle jacobin centralisé et hiérarchisé du ministère public au sommet duquel se trouve le garde des sceaux, et dont le principe avait déjà été expressément admis par le pouvoir judiciaire.

Ainsi, dans une décision du 10 mars 1992 la chambre criminelle de la cour de cassation avait aussi tranché par l’affirmative la question de la qualité de juge du représentant du ministère public Français, au sens de l’article 5.3 de la CEDH, en affirmant que le procureur de la république était bien un magistrat de l’ordre judiciaire au motif « qu’il avait pour mission de veiller à l’application de la loi ».

Le conseil constitutionnel n’avait pas non plus remis en cause cette conception qu’il avait jugé conforme à la constitution dans sa décision du 11 aout 1993 au visa de l’article 66 de la constitution.Les auteurs de la saisine reprochaient alors à la loi 93-2 du 4 janvier 1993 de méconnaitre le principe de la liberté individuelle en donnant compétence au procureur de la république pour autoriser la prolongation au-delà de vingt-quatre heures de la garde à vue, alors que cette prolongation devait être selon eux subordonnée à une décision du magistrat du siège.

Argument auquel le conseil a répondu que ; » l’autorité judiciaire qui, en vertu de l’article 66 de la constitution, assure le respect de la liberté individuelle, comprend à la fois les magistrats du siège et ceux du parquet. »

Le conseil constitutionnel aura encore l’occasion de réaffirmer sa position antérieure dans une décision du 2 mars 2004 au sujet de l’article 30 nouveau du code de procédure pénale qui définit et limite les conditions dans lesquelles s’exercent l’autorité du ministère de la justice sur les magistrats du parquet ; 

» L’article 30 du nouveau code de procédure pénale, qui définit et limite les conditions dans lesquelles s’exerce  cette autorité, ne méconnait ni la conception française de la séparation des pouvoirs, ni le principe selon lequel l’autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du siège et ceux du parquet,.. »

La manière très explicite avec laquelle la CEDH aujourd’hui remet en cause la conception française de l’autorité judiciaire à l’occasion de l’affaire MEDVEDYEV aura des conséquences sur la réforme annoncée du juge d’instruction.

Dans une décision rendue le 3 juin 2003, Pantéa contre Roumanie, il ressortait déjà de cette décision l’attachement de la cour à l’indépendance du magistrat à l’égard du pouvoir exécutif, et pris au sens de l’article 5.3 de la convention Européenne des droits de l’homme.

Avec l’arrêt Medvedyev contre France, du 10 juillet 2008, la position de la cour Européenne est encore plus explicite alors qu’elle vise cette fois directement le statut du parquet Français.

Cette jurisprudence amène les auteurs à s'interroger sur les conséquences de l’arrêt Medvedyev, et notamment sur la réforme de grande envergure du juge d’instruction, et quant aux prérogatives du parquet à l’égard aussi de l‘article 6.1 de la convention;

 « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, …. »  (Voir la note de JP Marguénaud, rebue de science criminelle, 2009 ; « Tempête sur le parquet »)

La portée de l’arrêt Medvedyev peut s’étendre à toutes les phases de la procédure pénale placées sous le contrôle d’une autorité non judiciaire au sens de la jurisprudence de la cour Européenne. En clair à toutes les phases placées sous la responsabilité du procureur de la république, et plus particulièrement celles au cours desquelles sont prises des décisions attentoires à la liberté individuelle. 

Alors que la magistrature insistait sur la priorité qui doit être donnée à l’indépendance des organes de poursuite qui ne peuvent être soupçonnés de subir des influences (lettre d’information du syndicat de la magistrature jullet 2009), la France décidait de persister et de porter l’affaire devant la grande chambre de la cour Européenne pour une décision très attendue.

Etant donné la sensibilité de l'affaire, le gouvernement français s'était fortement mobilisé pour faire passer des messages clairs à la Cour de Strasbourg, et pour la sensibiliser aux conséquences d'une confirmation de sa jurisprudence.

La décision de la grande chambre de la CEDH était attendue.

Elle est finalement intervenue le 29 mars 2010 et confirme la condamnation de la France dans l'affaire dite Medvedyev, mais seulement  sur le fondement de l’article 5.1 de la CEDH.

Toutefois, elle ne confirme pas sa jurisprudence du 10 juillet 2008, pas plus qu’elle ne l’infirme d’ailleurs, et selon laquelle le procureur français n'est pas une "autorité judiciaire au sens que la jurisprudence de la Cour donne à cette notion", au prétexte qu'"il lui manque en particulier l'indépendance à l'égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié".

Elle a tout simplement pu contourner la question du statut du parquet en profitant notamment d’un nouvel élément factuel,  estimant que la question de la présentation des requérants à une autorité judiciaire indépendante ne se posait plus dès lors que les requérants, en l'occurrence des trafiquants de drogue, ont été présentés dès leur arrivée en France, à un juge du siège (juge d'instruction).

S’agissant  de la période entre l’arrivée à Brest des marins et leur présentation à un juge, le gouvernement Français « a apporté des informations étayées sur la présentation des requérants, le jour même, à des juges d'instruction chargés de l'affaire », ce qu’il n’avait pas fait auparavant (§ 127 – la Cour indique de façon mesurée qu’elle « ne peut que [le] regretter »).

Dès lors, cette « période de huit à neuf heures » qui s’est écoulé entre l’arrivée des marins à Brest et la présentation à l’autorité judiciaire est jugée « compatible avec la notion d'"aussitôt traduit" » (§ 133), étant souligné que ; «les juges d'instruction, lesquels sont assurément susceptibles d'être qualifiés de "juge ou autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires" au sens de l'article 5 § 3 de la Convention ». La France n’est donc pas condamnée au titre de l’article 5.3.

Pour autant la grande chambre a-t-elle contourné la question de l’indépendance de l’autorité judiciaire à l'égard du pouvoir politique ?

La cour reconnait finalement qu'il n'y a pas de violation de l'article 5 § 3 de la convention (puisque la mesure a été prise par un juge d'instruction) mais elle réaffirme aussi clairement qu'une autorité judiciaire compétente doit être indépendante à l'égard de l'exécutif et des parties, et exclut du même coup le ministère public de la catégorie. Ce qui confirmerait au moins implicitement, mais tout aussi clairement, que le procureur français n'est pas une "autorité judiciaire" au sens que la jurisprudence de la Cour donne à cette notion.

L'arrêt de la CEDH va donc continuer à nourrir le débat sur le statut du parquet.

Le projet de réforme de procédure pénale ne prévoit aucun changement de statut du parquet. Aujourd'hui, les procureurs sont nommés par le pouvoir exécutif sur un avis simple du Conseil supérieur de la magistrature. Ils peuvent recevoir des instructions individuelles du pouvoir.

Thierry Tamisier. Le 31 mai 2010.

La Cour européenne des droits de l’homme

Prérogatives Créée en 1959, la Cour européenne des droits de l'homme est chargée de veiller à l'application par les 47 Etats membres du Conseil de l'Europe de la Convention européenne des droits de l'homme. Ce texte garantit le droit à la vie, à la liberté et à la sûreté, au procès équitable, au respect de la vie privée et à la liberté d'expression. Il interdit la torture, les traitements inhumains, l'esclavage, le travail forcé.

Condamnations de la France De 1959 à 2009, la France a été condamnée 576 fois sur 773 arrêts. Elle est au 7e rang des pays les plus condamnés après la Turquie, l'Italie, la Russie, la Pologne, l'Ukraine et la Roumanie. 

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