Justice : Dossiers SOS JUSTICE

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

29/01/2010

Parlementaires au bord de la crise de nerfs

LE MONDE | 26.01.10 | 14h18


Jours de colère au Parlement. Trop de lois, trop de textes mal ficelés, trop de précipitation dans la prise de décision. Octobre 2009 : une joggeuse est violée et tuée en forêt de Fontainebleau par un criminel récidiviste. Un mois plus tard, un projet de loi sur la récidive est durci et voté à l'Assemblée nationale. Et ce n'est qu'un exemple. Pris dans une sorte de mécanique infernale, les parlementaires deviennent frondeurs, ils ne veulent plus jouer le rôle de simples faire-valoir. Eux qui doivent déjà composer avec l'empilement des textes, transformant l'édifice législatif en un véritable maquis...

Les chiffres sont édifiants : les lois promulguées représentaient 632 pages en 1980, 1 055 pages en 1990, 1 663 pages en 2000 et 1 966 pages en 2006. Ces dernières années, la tendance n'a fait que s'accroître. Depuis le début de la législature, pas moins de 117 projets ou propositions de loi, sans tenir compte des conventions internationales, ont été adoptés. Pis, la "procédure accélérée", procédure censée être "exceptionnelle" en limitant à une lecture par Chambre l'examen des textes, a été utilisée pour 60 % d'entre eux depuis le début de la législature. Une boulimie qui conduit, inévitablement, aux couacs. Même dans la majorité, les élus appellent à ralentir le rythme.

Lorsque Nicolas Sarkozy a annoncé, début janvier, qu'il voulait représenter sans délai au Parlement la taxe carbone censurée par le Conseil constitutionnel, plusieurs responsables de la majorité ont mis le holà. "On s'est plantés une fois. On n'était quand même pas obligés de refaire deux fois la même erreur", approuve le président de l'Assemblée nationale, Bernard Accoyer, plaidant que, "techniquement, constitutionnellement, politiquement, il paraissait bien plus sage d'entendre les arguments de prudence".

Le rejet de la taxe carbone illustre l'antagonisme entre l'ardeur de la volonté politique et les contraintes de la sécurité juridique. Pour l'exécutif, le temps presse ; le législatif, lui, déteste la précipitation. "C'est plus facile d'écrire un discours qu'un texte de loi", remarque Christian Jacob, président (UMP) de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale. En définitive, le plus surprenant dans cette affaire n'est pas que le Conseil constitutionnel ait jugé non conformes certaines dispositions de ce projet ; c'est que cela n'arrive pas plus souvent, tant est grande l'accumulation de textes élaborés dans l'"urgence".

"La taxe professionnelle, c'est nous (les parlementaires spécialisés) qui avons sauvé le texte, sans ça il serait sorti en charpie du Conseil constitutionnel", proclame sans ambages Charles de Courson, député (Nouveau Centre) de la Marne et vice-président de la commission des finances. Avec ces deux gros morceaux qui figuraient au menu du projet de loi de finances pour 2010 - taxe carbone et taxe professionnelle -, le gouvernement est passé tout près de la catastrophe.

Les parlementaires ont, semble-t-il, pris conscience de ce que cette "course à l'échalote" a de néfaste. Pour suivre la volonté de Nicolas Sarkozy, il faut adopter des textes perclus d'amendements, de sous-amendements... Les projets de loi initiaux s'enrichissent d'une kyrielle de dérogations et d'exonérations. Autant de risques d'insécurité juridique supplémentaires dont les cabinets et conseillers en tout genre feront leur miel pour permettre à leurs clients de passer entre les mailles du filet.

Dénicher la faille juridique permettant de contourner la loi est devenu un lucratif marché. Un véritable régal. Les banquiers se transforment en services administratifs pour instruire les dossiers fiscaux. Les cabinets spécialisés traquent les "lacunes" de la loi. "Toute réforme crée nécessairement de la complexité supplémentaire : il faut écarter l'idée que le droit puisse être simple, explique Patrick Hubert, associé chez Clifford Chance, un des principaux cabinets d'experts juridiques de la place parisienne. Nous vivons de la difficulté du droit. Il y a un marché de l'interprétation, tant les règles sont sophistiquées." Pour cet ancien conseiller d'Etat ayant également travaillé dans des cabinets ministériels, comme bon nombre de ses collègues juristes recrutés dans ces offices spécialisés, "à partir du moment où il y a un besoin, il y a forcément des professionnels pour répondre à ces besoins", même si, admet-il, "cela crée forcément des inégalités entre ceux qui peuvent s'offrir ces conseils et ceux qui ne le peuvent pas".

"Il faut avouer qu'on leur facilite la tâche", se désespère Lionnel Luca, député (UMP) des Alpes-Maritimes, déplorant "l'abaissement du niveau d'exigence" dans l'élaboration de la loi. "On court trop vite, mais on n'a plus les pointures, y compris dans les cabinets ministériels, poursuit-il. C'est fou le nombre de textes mal écrits qui nous arrivent. On a une impression de bricolage afin de satisfaire l'ogre médiatique. Comme si la politique avait pour fonction de mettre le café du commerce en ordre juridique."

L'époque semble avoir perdu de vue la sage recommandation de Montesquieu de ne toucher à la loi que "d'une main tremblante". Tout sujet promu à la "une" de l'actualité devient instantanément motif à légiférer. Comme si annoncer un texte de loi valait promesse de résoudre le problème. "C'est le fruit de la pression politique et médiatique, déplore M. Luca. Pour exister, il faut à tout prix faire passer un texte en raison de son impact médiatique et non de son efficacité réelle."

Ainsi, en matière de "lois sécuritaires", la majorité a présenté pas moins de seize textes depuis 2002. Résultat ? Les "promesses" s'arrêtent au stade du déploiement des moyens nécessaires aux intentions, quand ce n'est pas au simple stade de la publication des décrets d'application. Alors, de rapport en rapport, on invoque les "points de blocage", l'"insuffisance du suivi ", le "manque de moyens", pour justifier l'inefficacité des textes adoptés. Et on se dépêche d'en remettre une louche.

Cette accumulation de textes a des effets en chaîne désastreux. Elle décrédibilise la force de la loi. Elle déstabilise les agents chargés de son application, conduit les parlementaires eux-mêmes, contraints de les voter quand ils appartiennent à la majorité et de les critiquer lorsqu'ils sont dans l'opposition - les considérations politiques prenant largement le pas sur les exigences juridiques -, à douter du bien-fondé du travail législatif.

Président de la commission des finances du Sénat, Jean Arthuis peste contre les "incohérences" et les "contradictions" des projets dont le Parlement se saisit. "Certains textes qui nous arrivent ne sont en réalité que des véhicules de communication, poursuit le sénateur centriste de la Mayenne. Parce qu'il y a eu une annonce, sans se préoccuper de la faisabilité de cette annonce, on prend le risque d'afficher l'impuissance politique. Alors, pour ne pas afficher l'impuissance, on dresse un écran de fumée. A force, on finit par constater que ce ne sont pas vraiment des réformes, seulement l'apparence de réformes. L'important, c'était de pouvoir cocher une case."

On se souvient que le ministre de l'immigration, Eric Besson, avait déclenché la colère de la majorité, au printemps 2009, en annonçant qu'il ne prendrait pas le décret d'application sur les tests ADN, que cette même majorité avait dû approuver dans la douleur lors de l'examen du projet de loi sur la maîtrise de l'immigration, en novembre 2007. Ce faisant, le ministre admettait lui-même que la disposition votée était "très complexe à mettre en application". "Peut-être que, la prochaine fois qu'on nous dira qu'il faut à tout prix voter un texte, que la cohésion de la majorité en dépend, on y réfléchira à deux fois", relève Marie-Anne Montchamp, députée (UMP) volontiers rebelle du Val-de-Marne.

Reste que les parlementaires peuvent aussi s'en prendre à eux-mêmes. En dépit des alertes répétées, ils demeurent d'incorrigibles pourvoyeurs d'embûches juridiques, tant ils rêvent d'apporter leur pierre à l'échafaudage législatif. Heureusement, sur les innombrables propositions de loi enregistrées par l'une ou l'autre des deux Chambres - plus de 2 200 depuis le début de la législature pour la seule Assemblée nationale -, seule une poignée passera au stade de la discussion. Si leur auteur sait habilement manoeuvrer ou bénéficie des appuis nécessaires, certaines parviendront toutefois à trouver un "support législatif" sur lequel elles pourront se greffer par voie d'amendement.

Au fil des "navettes", des textes peuvent ainsi enfler démesurément et finir par se muer en véritables "monstres juridiques". Parmi les plus grands "papivores" de ces dernières années, la loi de février 2005 sur le développement des territoires ruraux : 76 articles à la sortie du conseil des ministres, 240 à l'arrivée. Le Parlement s'est essayé, depuis quelques années, à "faire le ménage" dans ce "stock" de lois. Mais les propositions de loi dites "de simplification et de clarification du droit" se sont elles-mêmes transformées en de nouvelles "cathédrales obscures". C'est ainsi que, à la faveur d'un amendement dont l'origine n'a pas encore été élucidée, parvint à se glisser, dans la loi de simplification de mai 2009, une disposition permettant à l'Eglise de scientologie d'échapper à une éventuelle dissolution en cas de condamnation, alors qu'à la même période une affaire la concernant était en délibéré.

Tout le monde en convient : l'"inflation législative" génère des textes mal écrits, incompréhensibles et, parfois, inapplicables. Tout le monde en convient. Et rien ne change.

Patrick Roger

http://www.lemonde.fr/politique/article/2010/01/26/parlem...

 

13:13 Publié dans Justice | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook